L’ambiguïté linguistique de certaines «perles du facteur»

«L’AMBIGUITE LINGUISTIQUE DE CERTAINES «PERLES» DU FACTEUR».

Les mots du rire, comment les traduire? Essai de lexicologie contrastive. Publication du Centre de Recherche Lexiques-Cultures-Traduction INALCO. A.-M. Laurian – T.Szende, éds. pp.339-359. Bern: Peter Lang. ISBN: 3-906758-54-0.



A.Emma SOPEÑA BALORDI
Universitat de València



Les différents modes du comique se fondent
sur la coprésence d’éléments incongrus ou incompatibles.
F.Evrard


Un des phénomènes qui se produisent dans le discours humoristique est la rupture entre le signifiant et le signifié, qui se voit remplacé par un autre inattendu; à un signifiant précis on n’ accole plus un signifié précis. «Ces infractions à la bi-unovicité du signe écrit se manifestent dans les deux sens: dans le sens de l’homophonie (lorsqu’un même graphème correspond à plus d’un phonème) et dans le sens de l’homophonie (lorsqu’un même phonème correspond à plus d’un graphème).» (Fuchs 1985: 14). Ces infractions peuvent conduire au phénomène qui nous intéresse ici: celui de l’ambiguïté linguistique.
Une expression ambiguë possède une même forme et plusieurs significations distinctes, mais ce qui nous intéresse du point de vue linguistique c’est que ces significations sont prédictibles en langue, et se présentent comme mutuellement exclusives. Cette double propriété, qui distingue l’ambiguïté des autres cas de plurivocité interprétative, est expliquée par C.Fuchs de la manière suivante (1966: 10): «prédictibles en langue» signifie que l’analyse linguistique doit pouvoir rendre compte de ces différentes significations donnant lieu à des représentations distinctes mais de même niveau (la suite graphique bière correspond à deux unités lexicales désignant boisson et cercueil  au niveau de la description sémantique des unités lexicales. C’est par le fait que les deux représentations sont de même niveau qu’elles s’excluent mutuellement. Par conséquent, l’ambiguïté effective peut être décrite au moyen de l’analyse linguistique; elle réside par conséquent dans des mécanismes de la langue
La propriété essentielle de l’ambiguïté linguistique est qu’elle impose un choix au récepteur. Celui-ci, sensible à cette alternative en langue, devra choisir la «bonne» signification en s’aidant de la situation de communication, de ses connaissances sur l’interlocuteur, et de l’environnement linguistique qui lèvent l’ambiguïté, qui désambiguïsent l’énoncé. Les énoncés peuvent être linguistiquement ambigus mais les données extralinguistiques permettent de ne pas tomber dans l’équivoque réelle qui se produit lorsque les connaissances extralinguistiques ne réussissent pas à lever l’ambiguïté linguistique. C.Fuchs distingue (1996: 62) entre malentendu et équivoque réelle: le premier se produit lorsque l’émetteur visait une interprétation et le récepteur en réalise une autre à cause de l’ambiguïté linguistique de l’énoncé, tandis que la deuxième a lieu quand il s’agit d’une ambiguïté linguistique non résolue parce que les facteurs extralinguistiques ne parviennent pas à la lever.  La plupart des ambiguïtés de la langue ne sont que des ambiguïtés potentielles ou virtuelles, car si toutes les ambiguïtés étaient actualisées effectivement dans chaque acte de parole, la communication deviendrait réellement difficile entre les interlocuteurs. On ne parlera d’ambiguïté effective d’une expression que si celle-ci donne lieu à une pluralité d’interprétations exclusives entre elles, et qui se retrouvent à des niveaux d’analyse plus complets, l’ambiguïté virtuelle étant une «configuration provisoire construite à un moment donné de l’analyse interprétative, mais qui est appelée à disparaître dans la suite de cette analyse, pour autant que celle-ci peut être menée jusqu’à son terme à l’aide de seules connaissances de la langue.» (Fuchs 1996: 41). En ce qui concerne la forme propositionnelle, la désambiguïsation peut se réaliser syntaxiquement ou lexicalement. Le processus par lequel se réalise la désambiguïsation est la formation d’hypothèses. Des hypothèses syntaxiques et lexicales correspondantes à l’énoncé ambigu sont construites grâce aux connaissances linguistiques, et les interprétations fausses sont éliminées au niveau pragmatique. Le principe de pertinence entre en jeu pour sélectionner l’interprétation la plus susceptible d’optimiser la pertinence de l’ensemble de l’énoncé. La désambiguïsation se réalise par formation et confirmation d’hypothèses au niveau de l’analyse linguistique, tandis que l’attribution de référents se réalise sur la base des prémisses contituées par le contexte et l’énoncé lui-même. Mais l’interlocuteur peut se tromper: le référent qu’il attribue à un des éléments du message du locuteur peut ne pas être celui que le locuteur avait l’intention de désigner, l’interprétation sélectionnée peut ne pas coïncider avec celle que le locuteur voulait transmettre. Les mécanismes de désambiguïsation ne sont pas infaillibles, et les équivoques sont présentes dans la communication humaine. «L’étude des équivoques révèle en tout cas que le décodeur sanctionne sans beaucoup d’indulgence un énoncé qui le contraint à revenir sur une première interprétation absurde, même si l’interprétation cohérente est à portée de main. Quand à l’encodeur, ses stratégies de rappel révèlent souvent à son insu la hiérarchie selon laquelle s’ordonnent pour lui les instances thématisées.» (Reichler-Beguelin 1988: 32)

Nous avons relevé certains types d’ambiguïtés qui constituent l’effet d’humour de fragments de lettres recueillis dans un vieux livre (Jean-Charles 1959). Erreurs dans le courrier des ministères, des administrations, des organismes de crédit, des médecins, de la Sécurité Sociale … qui constituent la source d’un comique involontaire souvent plein de naïveté.

Restitution d’éléments informatifs sous-jacents
Parfois nous trouvons des constructions dans lesquelles un segment peut être interprété de plusieurs façons selon la restitution que nous réalisons de propositions elliptiques. L’ambiguïté se produit parce que le récepteur doit découvrir la relation prédicative voulue par l’émetteur.

Dans ce fragment de lettre, à part le manque de concrétion de la phrase produit par l’expression incomplète soulignée, le déterminant possessif est ambigu étant donné qu’on ne saurait à qui l’attribuer. La logique nous dit qu’une seule lecture est possible! Il s’agit par conséquent d’une véritable ambiguïté linguistique, mais la proximité d’un SN sujet de la proposition adjective mène à la confusion. Les psycholinguistiques ont mis en évidence deux stratégies possibles d’interprétation des anaphoriques: par conservation de rôle d’une part, c’est-à-dire le rappel du sujet syntaxique, et par proximité d’autre part, c’est-à-dire le rappel du dernier SN introduit dont les caractéristiques grammaticales sont congruentes. C’est cette deuxième stratégie qui produit l’effet comique.

Nous n’avons plus personne à notre service, sauf un jeune garçon de douze ans que mon mari a conservé pour sa nourriture

Dans cette réponse à un questionnaire demandant le pourcentage de la mortalité dans la commune, la personne interrogée a voulu exprimer la coincidence numérique dans la période indiquée entre les décès et les habitants de la commune. Mais la lecture du texte tel qu’il a été écrit est une vérité de La Palice.

Un décès par personne

Le complément d’objet est sémantiquement incomplet dans l’explication qui suit puisque le médecin a sûrement prolongé «son congé de maladie».

Je vous fais savoir que le docteur de la Sécurité Sociale lui a prolongé sa maladie

L’ellipse dans la lettre de protestation suivante d’un segment qui expliquerait la prescription réalisée par le professionnel de la médecine au scripteur de garder le lit, et l’introduction d’un circonstant a produit cet effet compromettant:

Je voudrais mon argent aussitôt que vous pourrez me l’envoyer. J’ai été au lit avec le docteur pendant une semaine, et il ne m’a fait aucun bien. Si cela ne va pas mieux, il faudra que je me procure un autre docteur.

«Reste» au pluriel, «les restes de quelqu’un, ses restes» c’est, selon le Petit Robert, ce qu’il a laissé, négligé, méprisé, considéré quant à sa possession, son utilisation par une autre personne. De toute évidence, le scripteur fait référence «au reste de la somme due». La présence du syntagme «trois morts» dans la phrase précédente établit un rapport syntaxique inévitable entre les deux syntagmes.

Nous avons eu trois morts dans la famille en trois semaines. Je vous enverrai les restes fin de ce mois.

L’ellipse du mot «carte» (cf.carte en relief) dans un complément d’objet a comme conséquence l’ambiguïté suivante:

Il y a quelque temps, j’ai trouvé que les murs de ma chambre étaient bien nus…Je vous prierai donc de m’envoyer le relief de votre pays

Rapport établi par le lecteur entre des éléments de l’énoncé
Parfois le lecteur établit, ou peut établir, des relations entre deux segments de l’énoncé, ce qui a comme conséquence la compréhension d’une signification éloignée de celle que l’énonciateur aurait voulu communiquer.

Le syntagme «mes droits» de l’interrogation indirecte est mis mentalement en rapport avec l’information de la proposition précédente, établissant une lecture machiste qui n’a rien à voir – nous supposons – avec la demande d’information du scripteur.

Je viens d’épouser une veuve de guerre, je voudrais savoir quels sont mes droits

Les deux propositions que nous avons soulignés sont significativement incompatibles. Le terme «impuissant» devrait être pris dans le sens de «manque de moyens suffisants pour faire quelque chose» (cf.désarmé, faible, incapable), mais étant donné le contenu de la première information, le sens qui produit l’effet paradoxal est «incapable physiquement d’accomplir l’acte sexuel».

Ma fille attend un enfant et je suis effondré. Pourtant ma femme et moi, nous lui avons donné une bonne éducation, mais hélas! nous sommes tous impuissants.

Un rapport inavouable est établi entre le mot «taureau» et la proposition participe qui précède.

Etant veuve depuis peu, je viens vous demander une subvention pour l’achat d’un taureau

Un lien tripartite se produit entre les verbes «remarier», «suffire», et le nom «tracteur» avec la proposition participe précédente. Lien qui, indirectement, situe dans le même plan le /la conjoint / e et le tracteur.

Manquant de main-d’oeuvre, j’ai dû me remarier, mais cela ne me suffit pas et je voudrais que vous m’accordiez un prêt pour l’achat d’un tracteur

Le lecteur du message suivant, ne saurait au juste si le changement complet d’habitudes fait allusion à la coutume de ne rien faire du scripteur ou à un simple réajustement de l’emploi du temps.

Cet oubli est dû à ce que je travaille depuis le 10 mai dernier, et que cela a changé toutes mes habitudes.

L’adverbe «aussi» dans le dernier exemple de ce groupe, incite le lecteur à établir un rapport avec la proposition prédédente «j’ai douze enfants». L’effet surprenant est également renforcé par le connecteur «mais» introducteur d’une espèce de précision du scripteur:

J’ai douze enfants mais mon mari peut aussi faire de petits travaux de plomberie.


Rattachement de syntagmes
L’ambiguïté peut provenir de la délimitation des frontières des syntagmes qui constituent les propositions. Reconstruire la structure syntaxique de la phrase, explique C.Fuchs (1996: 111), «c’est reconstituer les emboîtements successifs des syntagmes, c’est-à-dire la hiérarchie des constituants: pour savoir où rattacher un syntagme, il faut pouvoir déterminer si ce syntagme est contenu ou non dans le syntagme précédent (…) Or ce travail, nécessaire, nécessaire à la compréhension de la phrase, se heurte généralement à une multiplicité de solutions possibles. (…) pour délimiter et hiérarchiser les syntagmes, le récepteur se trouve bien souvent confronté à des ambiguïtés effectives.»

L’ordre logique aurait rattaché le syntagme «avec une fourche» au verbe de la proposition précédente: «Battait avec une fourche son cheval…». La postposition du syntagme produit l’effet inattendu.

Battait son cheval qui mangeait de l’avoine avec une fourche

L’effet qui se produit dans l’exemple suivant est également inattendu mais moins imagé. Le syntagme «en état de décomposition avancée» aurait dû être rattaché à «cadavre».

Le cadavre a été découvert par un paysan en état de décomposition avancée

Ancrage référentiel – ancrage anaphorique
L’ambiguïté provient dans les exemples suivants de la difficulté d’identification de la référence. L’attribution ou assignation de référents fait jouer des facteurs linguistiques et des facteurs pragmatiques. La tâche de l’interlocuteur dans une situation de communication est de construire et d’évaluer des hypothèses sur les référents, et de choisir le «bon» référent, c’est-à-dire le référent intentionné par le locuteur, ainsi que la «bonne forme propositionnelle de l’énoncé, dépendants tous les deux des intentions du locuteur. Ces hypothèses (Moeschler 1994: 126) sont bâties à partir de la signification descriptive ou procédurale de l’expression référentielle, et à partir du contexte. Le choix de la «bonne» forme propositionnelle, dépend du principe de pertinence.. Le «bon» référent est celui qui s’accorde avec la production de la «bonne» forme propositionnelle, la forme propositionnelle cohérente avec le principe de pertinence. Ce principe (D.Sperber – D.Wilson 1989), qui permet de sélectionner parmi l’ensemble des informations disponibles celles qui formeront le contexte, est motivé par l’analyse que font Sperber et Wilson de la communication linguistique. En effet, on communique deux niveaux d’informations: l’information qui est contenue dans l’énoncé, et l’information que la production de l’énoncé est intentionnelle. Nous venons de parler de forme propositionnelle d’un énoncé, et il convient de la distinguer de sa forme logique. La première est susceptible de recevoir une valeur de vérité – c’est-à-dire qu’elle ne contient plus d’ambiguïté et que les termes référentiels y sont interprétés, qu’on leur a attribué un référent -, tandis que dans la majorité de cas (sauf quand, par exemple, la proposition exprimée par l’énoncé est nécessairement vraie ou fausse), la forme logique de l’énoncé n’est pas susceptible de recevoir une valeur de vérité, et se distingue donc de sa forme propositionnelle. La désambiguïsation et l’attribution des référents sont nécessaires pour pouvoir passer de la forme logique de l’énoncé à sa forme propositionnelle – à celle que le locuteur avait l’intention de communiquer -, et qui conduit à une interprétation de l’énoncé qui soit cohérente avec le type de pertinence. Principe qui intervient tout au long de la constitution de la forme propositionnelle: désambiguïsation, attribution de référents et élimination de termes vagues. La différence entre ces derniers et les termes ambigus est établie très clairement dans le Dictionnaire encyclopédique de pragmatique (1994: 374): «un terme est ambigu si l’on peut lui attribuer plusieurs extensions – classes des objets dénotés par un signe – au moins partiellement différentes, alors qu’un terme est vague si l’on a des difficultés à déterminer précisément son extension.» (extension ou classe d’objets dénotés par un signe). Un terme peut être à la fois vague et ambigu. L’interprétation des termes vagues est un processus inférentiel, et obéit aux mêmes mécanismes que l’attribution des référents; pour les deux, le code ne suffit pas, il faut aussi l’inférence.  La désambiguïsation – aussi bien que l’attribution des référents – sont deux tâches de l’interprétation pragmatique; l’interprétation purement linguistique ne peut y suffire lorsque l’analyse linguistique offre la possibilité de choix entre plusieurs interprétations. L’interprétation pragmatique attribue également  aux différents termes référentiels des référents, des objets dans le monde.

L’adjectif indéfini «même» peut marquer l’identité absolue ou la similitude. Mais c’est le premier sens qui vient à l’esprit en lisant l’écriteau suivant:

Nous vendons les mêmes oeufs que l’hiver dernier.

Le terme anaphorisé devait être «l’oie» mais comme nous l’avons vu dans notre commentaire sur la désambiguïsation, le rapport anaphorique s’établit par proximité avec «caporal».

A contrefait la démarche de l’oie afin de se moquer de son caporal et a imité ensuite le cri de cet animal

Le numéral «les deux» devrait faire référence pour le scripteur au mois précédent et au mois en cours, cependant l’analyse de la phrase peut conduire à une ambiguïté

Ayant manqué de travail le mois dernier, il m’a été impossible de vous verser mon mois. Comme j’ai repris le travail et ma femme aussi, je vous enverrai les deux

Un problème semblable se produit dans l’exemple qui suit. «Tous deux» doit syntaxiquement être lié à «enfant» et à «amant».

Je suis mariée. J’ai un amant. J’attends un enfant. Tous deux revendiquent la paternité. Que faire?

L’élément anaphorisé devrait être «fils», mais la proximité de «doigt» conduit à l’ambiguïté.

Mon fils s’est blessé au doigt et je vous l’envoie au pansage

Un problème semblable se produit dans la phrase suivante; le pronom «en» devrait renvoyer à «commune» et non à «femme».

Nous avons rencontré sur le territoire de la commune une femme qui n’en était pas

Dans la note d’excuse que nous analysons, il n’y a aucune référence à l’argent; la cohérence pragmatique ne l’exige même pas pour deux interlocuteurs qui partagent un univers de référence. Mais l’horizon d’attente d’un lecteur inconnu n’est pas le même. Et pour l’analyse de textes, le pronom anaphorique renvoie à «père décédé».

Etant donné que mon père est décédé, je ne pourrai vous l’envoyer vers la fin du mois, car je l’avais à charge

Un dernier exemple d’utilisation ambiguë du pronom «en». Aucune référence explicite dans le texte à «enfant», par conséquent «en» est mis en rapport grammatical avec «souliers».

Et ça a été la rentrée des écoles, et il a fallu acheter des souliers, et je n’en ai pas qu’un, j’en ai sept


Un problème de référence anaphorique équivalent se trouve dans l’exemple qui suit: le pronom «en» renvoie à «mari» tandis qu’en réalité il fait référence à un paiement.

Mes trois gosses étaient malades et mon mari est toujours en déplacement, je l’avais complètement oublié

La dernière «perle» impose une interdiction bien invraisemblable. L’adjectif «propre» employé avec le déterminant «sa» renvoie à un possesseur ambigu.

Il est interdit de cueillir des fleurs ailleurs que sur sa propre tombe.

Figures de rhétorique
Nous avons regroupé ici des ambiguïtés qui, par leur construction, sont des exemples de création de figures de rhétorique.
Hypallage
Figure par laquelle un adjectif est accroché à un nom qui ne lui correspond pas logiquement.

Perles garanties imitation véritable

Syllepse de sens
Au moyen de cette figure on peut lire en même temps le sens propre et le sens figuré d’un segment. L’ambiguïté provient de cette double possibilité, et doit ici rejeter le sens propre de l’expression souligné.

Cela fait deux fois en un mois que mon mari tombe malade. Je ne puis retirer 3600 francs de la bouche de mes enfants

Antanaclase
S’appuyant sur l’homonymie et la polysémie, elle se présente dans un énoncé quand un mot répété est pris chaque fois dans un sens différent.

Chargé de mettre du chlrorure de chaux dans les latrines, il a mis de la mauvaise volonté


Marqueurs temporels
L’ambiguïté peut provenir d’une certaine utilisation des marqueurs temporels provoquant des interprétations invraisemblables.

Dans le premier exemple, l’adverbe «encore» provoque une grave ambiguïté. Il s’agit d’une fâcheuse rédaction d’un message qui aurait pu également être classé dans le groupe des ellipses. Le lecteur de ce texte associe inévitablement ce marqueur temporel au nom précédent «malade», et le fait dépendre du verbe «être». En réalité il y a toute une partie du message non exprimée qui tournerait autour du traitement médical du malade.

J’ai l’honneur de vous informer que les ampoules sont terminées et que le malade pas encore

La référence temporelle «pour Noël» est immédiatement associée, surtout lorsqu’il est question d’enfants, à «cadeaux». Association mentale qui, unie à la maladie dont il est question, produit un effet inopportun.

Mon plus jeune qui a quatre ans a eu pour Noël une double otite

La référence temporelle aurait voulu indiquer «d’un moment à l’autre».

Depuis le mois de novembre, j’ai la maladie, et nous attendons un bébé tous les jours


Connecteurs
L’exemple qui suit présente un connecteur argumentatif qui conduit à une interprétation paradoxale.

J’ai versé (…) francs, donc étant jeune marié, je ne suis pas mauvais payeur

J’ai douze enfants mais mon mari peut aussi faire de petits travaux de plomberie.


Usage approximatif
Une expression peut être considérée en usage approximatif lorsqu’elle renvoie à un référent dont les propriétés s’ajustent approximativement à la représentation associée à l’expression; en réalité, cette approximation ne devrait pas être considérée comme une véritable ambiguïté car le récepteur n’est pas contraint à un choix entre deux significations.

Je l’ai fait partir à la fin du mois, exactement le 1er février (lettre de réclamation dirigée à la Poste)

Je fais collection de timbres et je n’ai qu’une dizaine de votre pays, ce qui est peu par rapport à mes camarades qui en ont une trentaine ou une cinquantaine

Considérations finales

L’ambiguïté, nous l’avons vu, est un type de plurivocité étant donné que nous avons affaire à une formulation donnant lieu à plusieurs interprétations exclusives, voire contradictoires. Cette disjonction d’interprétations impose au co-énonciateur un choix entre les interprétations concurrentes. Le cotexte et/ou le contexte seront chargés de filtrer l’information afin de conduire au choix de la bonne signification, celle que l’énonciateur voulait faire comprendre dans son message. En effet, toutes les potentialités significatives ne s’actualisent pas en discours, il y  a des pistes interprétatives dans les énoncés qui précèdent ou qui suivent, et dans la situation de communication qui joueront le rôle d’éléments désambiguïsateurs. Parfois le potentiel d’ambiguïté linguistique de l’énoncé est utilisé par l’énonciateur pour faire passer certaines informations (cf.allusions), ou simplement pour obtenir une réactin du récepteur, un effet perlocutif déterminé (cf.les jeux de mots utilisés par les humoristes). Il s’agit là d’un type d’ambiguïté intentionnelle. Mais souvent l’énonciateur n’est pas conscient du danger que suppose la présence d’une ambiguïté potentielle ou virtuelle qui peut être désambiguïsée ou bien être effectivement ambiguë. L’ambiguïté non intentionnelle, produite naïvement par le scripteur, est celle qui nous a intéressée ici. Nous avons essayé de voir comment certains énoncés peuvent présenter des ambiguïtés linguistiques en analysant les alternatives qu’ils imposent au lecteur. Tout cela en choisissant un vieux corpus «intentionnellement» humoristique bourré d’anecdotes amusantes, reflet du risque que suppose toute communication interpersonnelle.


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