Les graffiti postfranquistes: thèmes privilégiés
In La langue libérée: Etudes de socio-lexicologie.
(2003) (Laurian, A.M. éd.). Bern, Berlin …: Peter Lang S.A., INALCO, Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Centre de Recherche Lexiques – Cultures – Traductions, vol.3 Etudes Contrastives. pp.185-198.
«Oh mur, je suis admiré que tu soutiennes
autant de bêtises sans t’écrouler»
(Ruines de Pompéi)
«No hay espacio en las paredes
para exponer más errores»
(Blanca Castellón)
A David
et nos murs hétéroclites
A Riki
et nos murs virtuels
1.Distinction terminologique
Les excavations ont dévoilé les graffiti de l’architecture pompéienne où l’on trouve des énoncés pré-contreculturels. La caractéristique essentielle de ce type de manifestation scripturale est sa spontanéité, l’absence de la composante institutionnelle. Ces messages ont été tout d’abord appelés inscriptions, et une branche de l’histoire, l’épigraphie, est consacrée à leur étude. Actuellement, il existe une tendance à utiliser le terme graffiti (du grec graphos). Le Dictionnaire Le Petit Robert (s.v.) définit ce terme, d’une part comme inscriptions ou dessins tracés sur les murailles et les monuments des villes antiques, et d’autre part comme inscriptions ou dessins griffonés sur les murs ou les portes. En espagnol, ce mot a une connotation péjorative, et on l’associe à quelque chose de marginal ou d’associal. La consolidation du phénomène en Espagne offre une alternative lexicale, pintada, nominalisation du verbe pintar, et un certain sens, comme une extension de signification de pinturas. Pintada comporte également un sens péjoratif véhiculé para le suffixe -ada, en concordance avec la perception générale attachée à ce genre de manifestation scripturale. Cette perception souligne le caractère de subversion de ce type d’expression spontanée, anonyme, qui contrevient à l’asepsie urbaine. D’autres dénominations telles que letrero ne saurait exprimer la condition-clé de ces manifestations réalisées au moyen de peintures ou graphites. Le terme pintada, malgré ses connotations, désigne parfaitement ces expressions graphiques étant donné que les pintadas modernes sont réalisées avec des peintures et non avec des graphites. Cela dit, nous n’établirons pas de différence entre les termes «graffiti» et «pintada», tout en sachant que les graffiti présentent une dimension plutôt artistique, et que leur message est un message de formes plutôt qu’un message de contenus.
2.Les graffiti, las pintadas: introduction au concept
Les inscriptions sur les murs, sur les pierres, sont aussi vieilles que les alphabets. Les concepts-clés des inscriptions murales, appelées «graffiti», sont au nombre de deux: tout d’abord «écrire» – exprimer des idées, des sentiments, au moyen de signes alphabétiques -, ensuite «sur un mur» – sur une propriété d’autrui en transgressant par conséquent les normes -. L’analyse de ces messages pourrait donc porter sur la forme, approche morphosyntaxique (étant donné que l’espace est restreint, il doit y avoir des contraintes, etc.), sur la sémantique (quelle est la signification d’un de ces textes à partir du choix des mots, etc.), sur la pragmatique (quel est le sens de tel énoncé sous forme de graffiti, quelles connaissances du monde exige-t-il, etc.), et sur la sociolinguistique (la production de l’énoncé graffiti dépend de facteurs sociaux spécifiques).
La création de ce moyen d’expression alternatif répond à des circonstances socio-politiques très particulières. Les graffiti ne peuvent naître que d’un besoin d’expression insatisfait. Chaque milieu social crée une dialectique différente, les graffiti de Londres (contreculturels), de Lisbonne (nouveauté de la pratique démocratique), ou de New York (révolution esthétique), ont eu des motivations plutôt extra-politiques, non-interchangeables. Quant aux graffiti de Mai 68, il s’agit d’une explosion d’imagination et de spontanéité visant un idéal utopique de transformation de la société, du monde.
Les graffiti en Espagne sont un mécanisme symbolique d’une lutte vieille et quotidienne contre la longue dictature: le symbole de toutes les libertés niées
(1) Se prohibe hacer pintadas por orden gubernativa.
Les «pintadas» en Espagne ont eu une force très particulière parce que l’espace de la communication non-institutionnelle était extrêmement dangereux et réduit. Il est évident que ce modeste moyen d’expression ne pouvait faire concurrence à l’omniprésence des mass media. La gauche, silenciée pendant quarante ans, ne peut avoir recours qu’aux moyens d’expression substitutifs, car la droite a le pouvoir absolu, et l’extrême droite jouit de la connivence de la censure institutionnelle. La droite qui gouverne n’a donc pas les motivations qui poussent à écrire les graffifi: la rage, l’exaltation, le besoin imminent de communiquer. Les graffiti dérangent, et le gouvernement de Franco voulut les cataloguer comme un délit.
3.Les murs en Espagne
Du temps de Franco, les graffiti, las pintadas, en Espagne, étaient surtout des graffiti institutionnels, réalisés avec habileté au moyen de patrons ou réalisés par des dessinateurs professionnels. Les textes ne naissaient pas spontanément de la communication marginale mais des bureaux du Movimiento, régime politique du franquisme. Il ne s’agissait pas de véritables pintadas mais de consignes gravées sur les murs, surtout à l’entrée des villes. Le seul but de ce langage était de perpétuer l’obsession du Caudillo, qui a caractérisé le fascisme franquiste, et ne comportait pas de slogan contreculturel ni de message marginal. Les pintadas, telles que nous les comprenons aujourd’hui, les messages de l’opposition contre le système, n’ont commencé à voir le jour que, timidement, dans les années 60. La répression était écrasante, et la peur de la prison produisait un mouvement d’inhibition généralisée. Il y avait, cependant, de temps en temps des moments algides à cause de la répression du régime de Franco contre l’opposition: l’exécution de J.Grimau, le procès de Burgos, le procès 1001 et les dernières exécutions le 27 septembre 1975. Mais à partir de l’assassinat de Carrero Blanco en décembre 1973, l’opposition est devenue de plus en plus puissante, et les graffiti politiques ont commencé à proliférer. Ces graffiti ont un rôle double, d’abord comme moyen de communication alternatif, développant les symboles et le langage maintenus en hibernation pendant 40 ans, et ensuite, comme moyen détonant des rumeurs populaires. Les graffiti politiques ont une grande importance en Espagne, comme dans tous les pays où la communication institutionnelle est très puissante. Ils constituent un mécanisme symbolique de lutte: la conquête de la liberté d’expression. Mais il ne s’agit que d’objectifs limités étant donné qu’ils ne peuvent faire concurrence aux mass-media omniprésents et omnipuissants. En plus, les graffiti atteignent un public restreint à cause de leur emplacement. Les graffiti de gauche commencent à s’exprimer sur les murs: l’opposition au régime a besoin de voies d’expression contrairement à l’extrême droite dont les graffiti ne servent qu’à neutraliser les graffiti de la gauche, à contrôler les pensées, les regards. Après la mort de Franco, le 20 novembre 1975, les murs des villes deviennent d’énormes journaux: il n’est plus question d’y consigner des slogans mais bien des événements quotidiens; ils sont le pilier d’un mécanisme de communication d’urgence.
Les graffiti, en tant que messages colportés, constituent un moyen de communication alternatif et direct capable de montrer les symboles et le langage cachés qui commencent à être récupérés après quarante ans de dictature.
4. A propos de quelques techniques d’écriture murale
4.1. La rature: la contre-écriture institutionnelle,
Dans un premier temps, le phénomène de la rature est une réaction du pouvoir institutionnel. Ce dernier, afin de mettre des entraves à la libre expression, utilise, paradoxalement, le même mécanisme que l’opposition au régime. Ensuite, la rature fonctionne en tant qu’ancrage iconique, empreinte indélébile de l’acte répressif de l’expression. La tachadura pone mordaza al lenguaje de los muros, encadena las palabras, provoca una emocionabilidad tan fuerte como la propia pintada reprimida. (Sempere 1977: 52). Ce mécanisme, qui est en lui-même une définition idéologique, vise à une neutralisation du contenu en le rendant illisible, au moyen de rayures, de dessins superposés, de griffonnages, ou encore de mécanismes d’élimitation définitive comme le badigeonnage ou le lavage. Ce dernier mécanisme répressif produit parfois des transparences qui reproduisent dramatiquement leurs propres contenus, c’est-à-dire le niveau dénotatif, mettant en évidence l’intention répressive, le niveau connotatif.
Logiquement, à mesure que les graffiti prenaient de l’espace, la méthode de la rature se montrait insuffisante, et la vitesse à laquelle se multipliaient les graffiti empêchait ce type de contrôle «bricoleur». Et c’est alors que les contre-graffiti (contrapintadas) ont fait leur apparition.
4.2. Les contre-graffiti
Il s’agit évidemment de messages de l’extrême droite. Les objectifs ont été non seulement la domination et l’occupation de l’espace urbain, mais aussi la dégradation de celui-ci, étant donné que cette contre-attaque eut comme conséquence une énorme confusion idéologique. En effet, le style des graffiti s’était toujours caractérisé par la clarté, le manque d’ambiguïté et la compréhension immédiate du message. Par contre, la lecture des messages fascistes exigeait l’application d’un code strict, ce qui pouvait rendre le travail de lecture laborieux, mais loin de produire un effet de désistement dans la tentative de compréhension de ces messages, l’apparition de ces codes bizarres et recherchés provoqua le chaos thématique d’un espace presque épuisé, le discrédit produit par l’accumulation excessive, et l’agressivité verbale entre les utilisateurs.
4.3. Les répliques
Le but de cette variante des contre-graffiti est souvent de ridiculiser le message de départ: on ne l’élimine pas étant donné qu’il est nécessaire à la compréhension de la réplique, qui, elle, doit se montrer non équivoque. La ridiculisation critique du message de départ utilise surtout une rhétorique grotesque, ironique, sarcastique et insultante. L’extrême droite utilise fréquemment ce genre de contre-graffiti, mais la gauche intervient aussi parfois:
(2) Con Franco vivíamos mejor — Algunos con Franco vivíamos mejor.
5. Techniques alternatives
Les étiquettes adhésives d’application corporelle ou murale, les affiches imprimées ou manuscrites essayent d’atteindre un public plus large. Mais leur production, impliquant des procédés mécaniques parfois longs et compliqués, n’a pu remplacer la caractéristique la plus importante des graffiti: leur instantanéité.
6. Las pintadas et la transición política
A partir de la mort de Franco, en novembre 1975, les cycles de permanence des graffiti répondant aux thèmes d’actualité, changent à une énorme vitesse. Cela s’explique par le moyen de communication alternatif que devient le journal urgent de la rue, où l’on inscrit moins de consignes que d’événements politiques.
P.Sempere (1977: 55) établit plusieurs groupes d’événements privilégiés où l’on pourrait ranger la plupart des inscriptions à cette époque, et qui pourraient être synthétisés, selon notre critère, de la manière suivante:
– Les protestations indignées et véhémentes élevées contre les morts violentes – institutionnelles ou «accidentelles» –
– Les convocations urgentes (manifestations, grèves, réunions politiques, présentations politiques importantes – e.g.présentation publique du Mouvement Communiste à Madrid en septembre 1976)
– Les soucis politiques des Espagnols à ce moment: l’amnistie, le Référendum du 15 décembre 1976, l’emprisonnement de S.Carrillo le même mois…
L’énorme besoin de communication est évident: la première loi présentée à Las Cortes pendant la première année du post-franquisme est la Ley de Manifestación y Reunión, qui essaye de définir conceptuellement les limites de la libre expression des opinions politiques, du licite et de l’illicite.
Le Référendum est l’événement politique qui, face au gouvernement, maîtrisant les mass media, met en évidence les tendances au vote négatif de l’extrême droite:
(3) Vota no
et à l’abstention de la gauche et l’extrême gauche:
(4) No votes. Pinta
Plusieurs phénomènes iconographiques se produisent:
a) les transformations des graffiti:
(5) Votar – no votar no
(6) Abstención – abstención es incultura
b) les répliques
(7) Abstente – cobarde
c) et à une moindre échelle, les ratures
d) les graffiti favorisant la position du gouvernement sont également très présents:
(8) Vota sí
et visent à une manipulation progressive.
La représentation murale d’avant et d’après le Référendum mettra en évidence des stratégies d’intégration, parfois démagogiques, de ce moyen marginal d’expression.
7. Thèmes prioritaires des graffiti en Espagne pendant la transition politique
L’extrême droite montre, avec tous les moyens dont elle dispose, son obsession anticommuniste: le vieux terme «rojos», provenant de la guerre civile, apparaît dans la plupart de ses messages, ainsi que le nom du dictateur, Franco, avec des expressions telles que:
(9) Franco aún vive
(10) Franco presente (qui renvoie à l’expression utilisée par les dévots de José Antonio Primo de Ribera)
(11) Arriba España (expression utilisée par Franco à la fin de ses discours). Les menaces sont également très utilisées, menaces de mort:
(12) Muerte a los rojos
et les moyens désirés pour obtenir la réalisation de l’acte:
(13) Rojos al paredón.
Les mots «traición» «traidores» sont très présents comme dénonciation de tous ceux qui maintenant s’inclinent pour la démocratie.
Finalement, le premier anniversaire de la mort de Franco eut des conséquences «graffitistes» significatives: les franquistes utilisent massivement ce moyen de communication marginal qu’ils avaient poursuivi pendant quarante ans. Presque deux mois avant l’anniversaire, les signes 20-N apparaissent dans tout le pays. Pour commémorer l’anniversaire de la mort de Franco, ils avaient organisé une célébration à la Plaza de Oriente, la même où le dictateur prononçait ses discours de masse. Ce 20-N annonçait préalablement la date de la célébration, le 20 novembre.
Tandis que la droite et l’extrême droite se montrent en position de défense, la gauche et l’extrême gauche se montrent en position d’attaque. Les thèmes prioritaires de ces dernières tendances politiques sont surtout (Sempere 1977: 130) la conquête des libertés politiques et sociales (surtout l’amnistie), le travail (les droits des travailleurs), le type de gouvernement (démocratie, socialisme, république), les partis politiques (les graffiti servent à faire connaître les sigles des nouveaux partis), et les nationalismes (conquête des autonomies politiques, récupération des langues nationales). Signalons une précision importante sur le style des graffiti de la gauche: ils sont beaucoup plus directs et courts que ceux de la droite, et pour cause! Les risques que courent les créateurs des graffiti à idéologie de gauche étant plus grands, les messages résultants sont plutôt conceptuels et très fonctionnels.
8. Stratégies linguistiques
La structure syntaxique la plus utilisée est la phrase simple, et les modalités exclamative et injonctive sont récurrentes, les raisons en sont de toute évidence le manque d’espace, l’urgence et le besoin de produire un impact:
(14) Viva el 1ºde mayo!
(15) Unete a la huelga general 4-XI-76!
(16) Referéndum no votar!.
Les phrases nominales constituent une structure qui se prête à l’expression de toute sorte de messages:
(17) Libertad presos políticos
(18) Todos a la mani
(19) Unidos contra la dictadura
La double négation au moyen de la conjonction «ni», suivie de phrase nominale à un seul terme et présentant l’opposition à l’antérieure, constitue également une structure rentable:
(20) Ni ruptura ni reacción. Revolución.
La phrase nominale assertive sous forme d’équation est très présente dans les messages de toutes les tendances, avec ou sans signe d’égalité:
(21) Communisme = wc
(22) Democracia = subida de precios
(23) ETA asesinos
Ou en phrase verbale attributive:
(24) Socialismo es libertad.
Une autre formule mathématique, l’addition, laissant implicite le résultat:
(25) Comunismo + libertad.
Dans certains graffiti constitués par des phrases nominales, on trouve des rapports syntagmatiques divers entre le nom et son complément:
(26) La empresa al/ para el trabajador
Relation à valeur circonstancielle indiquant la destination.
(27) Catalunya con Euzkadi
Préposition «con» établissant un lien d’accompagnement au sens figuré ou accompagnement solidaire.
Ou bien simplement une phrase nominale au moyen d’un syntagme prépositionnel indiquant le but de la revendication exprimée par l’acte d’écriture:
(28) Por la libertad
(29) Por la República
(30) Por un salario justo
Dans notre corpus, la modalité interrogative constitue une mise en débat du contenu de l’énoncé:
(31) ¿Amnistía para qué?
Ou bien comme réflexion sur les destinataires de l’acte politique:
(32) ¿Amnistía para quién?
La structure interrogative peut se présenter combinée avec une modalité exclamative, comme réaction affective face à la situation considérée:
(33) ¿Has matado ya tu rojo? ¡Tres mejor que uno!
Cet énoncé auto-réponse suppose deux situations possibles de l’énonciataire: ou bien il a déjà réalisé l’action au moment de l’émission de l’énoncé («ya» présuppositionnel, comme référence au prédicat), ou bien pas encore. Dans le premier cas, l’auto-réponse de l’énonciateur part de cette action réalisée («tu» = unité), et la sanctionne en augmentant le nombre. Dans le deuxième cas, l’énonciataire n’a pas encore réalisé l’action, et l’énoncé est alors un avertissement , un conseil, ou, à la rigueur, un commandement.
La formule interrogative peut apparaître sous forme de question rhétorique + fausse réplique + formule de politesse servant à montrer le mépris de la possibilité de réaliser l’action:
(34) Referéndum? No, gracias.
L’énoncé utilise une question autoréférentielle étant donné que le terme «référendum» implique, comme l’interrogation totale, une réponse affirmative ou négative. La non-réponse à l’interrogation suppose une impolitesse, la transgression du Principe de Coopération de Grice (1975) selon lequel la contribution conversationnelle doit s’adapter à la situation de communication. L’acte perlocutionnaire correspondant à la convocation d’un référendum suppose quatre possibilités: réponse affirmative ou négative, silence coopératif (abstention), ou bien un acte non verbal (qu’on pourrait faire correspondre au silence de l’interlocuteur à la question totale, le refus de l’acte de répondre.
La phrase complexe est peu fréquente. L’exemple qui suit présente l’élision du verbe dans la proposition comparative et la topicalisation du complément:
(35) Como en el 39 por España venceremos
Dans le dernier groupe d’exemples de notre contribution sociolinguistique sur la libération de la langue, le sens de l’humour est le protagoniste. Tout d’abord une expression paradoxale écrite à l’époque du Référendum:
(36) Vota la desaparición del voto
L’énoncé suivant s’appuie sur la paronymie huelga / juerga (grève / noce)
(37) A la juerga general
«No pintar nada» signifie «être déplacé», le verbe joue sur la syllepse de sens «no pintar» : être déplacé / peindre
(38) No pintamos nada, pero pintaremos
L’expression suivante renvoie à un slogan autre très connu du parti communiste «la tierra para el que la trabaja»:
(39) La pared para el que la pinta
L’expression propre du langage enfantin «¡qué miedo!» peut servir à ridiculiser l’oppression du pouvoir; «bunker» serait utilisé comme hypéronyme des événements, actions ou états susceptibles de «faire peur»:
(40) ¡Qué miedo!… el bunker!
Le 20 novembre, date de la mort de Franco, comme nous l’avons signalé, la droite organisait des actes commémoratifs. L’énoncé instaure une commémoration tout à fait péjorative:
(41) 20N = día del subnormal
En rapport avec l’antérieur:
(42) Psicólogos, 20N en la plaza de Oriente ¡tenéis trabajo!
La grève générale est convoquée d’une façon originale ici:
(43) 12N San Paro General
La phrase figée «estar entre la espada y la pared», «être pris entre deux feux», «être au pied du mur», s’enrichit dans l’énoncé suivant de la valeur rhétorique que prend le mot «pared», expression figée, et support de l’écriture des graffiti.
(44) Estamos entre la espada y la pared
Pour terminer, analysons un énoncé riche d’une multiplicité de significations. Tout d’abord une expression ancienne «La primavera ha venido y nadie sabe cómo ha sido», où le verbe est modifié afin d’obtenir un effet prosodique, «llegado / enterado», ensuite une critique à l’immobilisme du parti communiste face aux nouveaux courants de la gauche:
(45)La primavera ha llegado y el PC ni se ha enterado.
9. La langue libérée: les graffiti
Les graffiti, écriture éphémère, ont été présents le long de l’histoire de tous les pays, bien que le manque de données antérieures à la deuxième moitié du XXe siècle ne permette pas des études approfondies. L’être humain a toujours ressenti le besoin d’une réponse instantanée à l’absence de liberté informative dans les sociétés dominées par le totalitarisme. Le parti au pouvoir monopolise la presse, la culture et la propagande, et impose, à travers cette monopolisation, son idéologie, ce qui empêche le développement de la créativité des citoyens.
Graffiti existentiels, politiques ou idéologiques, poussent les passants à se dégager du commun et de l’endoctrinement, à revendiquer leurs droits d’expression en ce qui concerne leur façon d’envisager leur manière de vivre, de travailler, de partager le monde.
Nous avons vu comment, en Espagne, les graffiti existaient dans le régime dictatorial, sous forme de patrons bien réglés, symbole de la quadrature des pensées et de la rigidité des façons de vivre. Mais les dernières années de la dictature ont vu l’apparition de graffiti bien différents écrits à toute vitesse par les travailleurs et les universitaires, transmettant les soucis d’un peuple écrasé par le silence dictatorial. L’explosion écrite des murs a lieu au moment de la mort de Franco et pendant les années de la transition politique. Le désir ardent de s’exprimer envahit les surfaces verticales, sans crier gare, d’expression de pensées, d’idéologies, de croyances et d’expériences d’un peuple qui se représente lui-même pour la première fois.
«La calle es mía…!»
(M.Fraga Iribarne, Ministre du Gouvernement, 1976)
Bibliographie
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ARIAS,F. (1977) Los graffiti, juego y subversión. Valencia: Lindes Comunicación.
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EQUIPO DIORAMA (1976) Las pintadas del Referéndum. Madrid: Ed.Diorama
EQUIPO FAD (1977) Pintadas: Barcelona, de Puig Antich al Referéndum. Barcelona: La Gaya Ciencia
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