UN VIEIL ILLUSTRE: PIONNIER DU DESSIN DE VULGARISATION SCIENTIFIQUE EN ESPAGNE?
A.Emma SOPEÑA BALORDI
UNIVERSITAT DE VALENCIA (ESPAÑA)
V Congreso Luso Hispano de Lenguas Aplicadas a las Ciencias. Universitat de València. 1994
Toute découverte exige d’être reconnue
c’est à dire communiquée(1)
A David, inventeur.
«Los Inventos del TBO» (2) ont joui d’une énorme popularité en Espagne, surtout parmi les adultes. Nous nous proposons de revoir plusieurs de ces dessins-schémas que nous avons sélectionnés entre plus de 300 pour leur originalité. Certains d’entre eux comportent une légende à fonction explicative, véritable guide d’utilisation pour l’usager; d’autres, simplement un relevé numéroté des éléments qui composent le mécanisme. Rappelons que les fonctions du texte sont, selon R.Barthes (3), celle d’ancrage, qui fixe le sens en empêchant la déviation polysémique, et celle de relais ou de redondance texte/image. Il y a des inventions très simples ne présentant qu’un dessin figuratif schématisé qui transforme une réalité complexe en une réalité observable simple, un signifié figuratif. Les dessins, simples dans la mesure où ils éliminent le superflu, expriment ainsi l’essentiel en dégageant les détails inutiles. Le schéma «en conservant une valeur de généralité, apporte une valeur d’objectivation, concrétise des informations.» (4).
L’analyse de ces pages d’illustrés peut avoir des objectifs très variés. Nous mettrons ici en relief seulement l’intérêt linguistique qu’elles contiennent en puissance du point de vue de la pratique des langues étrangères.
Pour travailler avec ces supports iconiques et leurs textes correspondants, nous considérons qu’il convient de procéder préalablement à leur analyse et à leur classement. Le problème se pose tout d’abord de savoir de quel type de texte il s’agit. Selon le classement établi par S.E.Balmet et M.Henao Legge (5) entre «discours interactif» et «discours expositif», les premiers visent à «faire agir», ou a «faire croire», tandis que les deuxièmes visent à «exposer des idées», «formuler des hypothèses», «présenter», «décrire», «faire des raisonnements logiques», c’est-à-dire «faire savoir». Nous trouvons parfois dans ces mini-textes des marques linguistiques d’implication de l’émetteur et/ou d’interrelations émetteur-récepteur qui caractérisent les discours interactifs. Les traits distinctifs essentiels de ces courts écrits pragmatiques sont leur utilitarisme éphémère, leur renvoi à une réalité objectivée et univoque, et leur objectif communicatif ou de transmission d’informations formulée dans un langage codifié. Mais ces légendes ne sont pas pour autant des écrits totalement objectifs; nous y trouvons des traces de subjectivité du sujet énonciateur: «este ingenioso aparato» (dans «Irrigation des champs»), «este ingenioso dispositivo» (dans «Mécanisme pour éviter le débordement des liquides»), «Insistiendo en nuestra firme campaña contra la antihigiénica costumbre de…» (dans «Machine à humidifier les timbres»), «En esto se funda la utilidad de nuestro invento, el cual es, además de práctico, económico y recreativo.» (dans «Mécanisme servant à se frotter le dos»).
Les tournures impersonnelles sont fréquentes ainsi que les nominalisations, mais les modalités appréciatives – dont l’absence est de rigueur dans les discours dits «objectifs» – sont parfois présentes. Comme l’emphase: «Insistiendo en nuestra firme campaña» (dans «Machine à humidifier les timbres»), «sencillísimo y económico dispositivo», «supone una enorme comodidad» (dans «Dispositif pour remuer les aliments»), «un invento de TBO de economía asombrosa» (dans «Moto-soufflet»). Ou la généralisation: «todas las mujeres saben lo desagradable que es…» (dans «Mécanisme évitant le débordement des liquides»), «este mueble proporciona comodidad y aire fresco aun en los países más calurosos» (dans «Berceuse»). Une autre modalité appréciative est l’emploi de différents pronoms personnels et impersonnels: «si estás delante, nunca hierve, y en cuanto lo pierdes de vista…» (dans «Mécanisme évitant le débordement des liquides»), «a veces uno ha de ausentarse de casa» (dans «Regulateur alimentaire canin»). En ce qui concerne les caractéristiques des textes dits expositifs, nous les trouvons aussi dans les légendes; l’effacement de l’énonciateur et l’utilisation du présent de valeur atemporelle: «Para armar el aparato se utilizan», «las rociadas alternas (…) se regulan por medio de…» (dans «Mécanisme pour se frotter le dos»), «un disco de corcho A se ata a un cordón» (dans «Mécanisme pour éviter le débordement des liquides»). On peut repérer également certains articulateurs et modalités logiques: «sabido es que en la terapéutica hidráulica» (dans «Mécanisme pour se frotter le dos»), «una ancha manguera (…) la cual comunica», «del motor a vapor, el cual puede alimentarse» (dans «Moulin à vent»). Et des marqueurs temporels et spatiaux: «una vez aplicado el gancho, se desconecta» (dans «L’effronté»), «de este modo, al mismo tiempo que se practica (…) se logra» (dans «Mécanisme pour se frotter le dos»).
Par conséquent, la variété des légendes produit des textes à dimension cognitive excluant, par conséquent, les structures dialogiques avec les destinataires («La Berceuse estivale», par exemple où l’explication ne fournit que le relevé des différentes parties qui composent l’engin), et d’autres qui impliquent leurs destinataires à partir d’une communication de type interactif de l’ordre de l’affectif («TBO, siempre dispuesto a prestar algún servicio a sus amables lectoras», «La cocinera, abandonando la lectura de TBO, que le ha proporcionado unos instantes de esparcimiento, corre», dans «Mécanisme pour éviter le débordement des liquides»). En réalité, et dans la plupart des cas, les deux types de discours ne fonctionnent pas de façon isolée car d’une part, dans faire savoir, il y a faire croire, et à ce titre, tout discours scientifique a besoin d’être reconnu pour exister. Pour susciter chez le lecteur ou l’auditeur l’envie de «savoir», il faut mobiliser sa logique et son affectivité. Il faut le convaincre que ce qu’on lui propose est très intéressant. D’autre part, pour faire croire, s’il est rentable de faire appel aux sentiments , il est tout aussi efficace de faire appel à la raison pour donner un poids scientifique aux arguments. C’est-à-dire que dans une même production discursive, il y a souvent des transferts entre des séquences d’exposition et des séquences plus interactives. Par conséquent il s’agit plutôt d’un continuum.
A partir de nos observations, nous croyons qu’un classement des inventions pourrait être établi selon l’objectif poursuivi, ou bien selon le procédé utilisé. Dans le premier cas (I), il y a des exemples qui visent à épargner un effort à l’usager ou bien à obtenir un bénéfice en utilisant l’effort personnel. Dans le deuxième (II), l’invention peut exiger l’effort humain ou bien l’utilisation de l’énergie produite par les éléments (eau, vent, etc.)
(I) En ce qui concerne le profit obtenu à partir de l’effort personnel, il y a deux inventions qui, en utilisant le même mécanisme, ont des résultats différents. Une Porte tournante produit un gaspillage d’énergie qui pourrait être mis à profit pour créer un système de réfrigération très bon marché. En adaptant une courroie au moulinet de la porte, on fait tourner un grand ventilateur central duquel partent les courroies de transmission, nécessaires pour mettre en marche un certain nombre de ventilateurs. La légende explique qu’avec ce système on économise de l’électricité.
Un autre dessin montre également une porte tournante d’un café qui produit le mouvement d’une roue dentée; au moyen d’une courroie de transmission, cette roue, à son tour, transmet le mouvement à un arbre qui sera capable de mettre en marche des appareils très divers comme un aiguiseur, une tarière ou une toupie.
Deux autres inventions servent également à se rafraîchir en été grâce à un effort humain:
La Bicyclette réfrigérante est pourvue d’un récipient en aluminium -4- rempli d’eau -1-; en faisant tourner les pédales, une chaîne -2- fait marcher la bombe -3- et, lorsque l’eau est aspirée par le tube -5-, elle s’élève pour sortir par la douche -6-. L’eau retombe dans le réservoir et s’y rafraîchit. Le schéma nous offre une vue latérale, une section longitudinale et un plan.
La Berceuse estivale fournit de l’air frais. La personne qui se berce fait fonctionner deux soufflets, dont l’un fournit de l’air frais et l’autre met en mouvement l’hélice placée au-dessus qui, en plus, chasse les insectes.
Les deux exemples qui suivent ont un rapport avec La Machine à coudre. Dans le premier, c’est son énergie qui met en mouvement le berceau du bébé -1-, l’appareil qui brosse le chien -2-, la dynamo qui produit de l’énergie électrique -3-, la meule à aiguiser -4-, le moulin à café -5-, le ventilateur -6-, et le manège de l’autre enfant -7-.
Dans le deuxième, c’est une Bicyclette qui met en marche la machine à coudre -1-, le moulin à café -2-, le ventilateur -3-, un moulin à vent miniature pour le petit -4-, et la pompe servant à remplir le réservoir à eau -5-.
Le dernier exemple d’utilisation de l’effort personnel montre La Moto-soufflet. Le soufflet, mis en fonctionnement par les pieds du motocycliste, fait tourner l’hélice installée sous le siège de la motocyclette. Le mouvement de l’hélice pousse la roue arrière au moyen d’une chaîne d’engrenage. L’invention est présentée de face et de profil pour que le lecteur puisse bien apprécier tous les détails de ce moyen de transport avec lequel il pourra économiser de l’essence.
Les inventions qui suivent sont régies par la loi du moindre effort. La Machine à humidifier les timbres qui évite de lécher les timbres avant de les coller sur les enveloppes. Elle est formée par 58 pièces détaillées dans la légende.
Le Dispositif pour remuer les aliments susceptibles d’attacher est mis en fonctionnement au moyen du jet d’eau du robinet qui fait tourner les pales; celles-ci transmettent l’énergie à l’arbre qui, au moyen d’une transmission, fait tourner le couvercle de la casserole lequel, à son tour, maintient en mouvement le liquide.
Un Mécanisme évitant le débordement du lait ou n’importe quel autre liquide, au moment de l’ébullition: un disque en liège -4- est attaché à une corde, et à l’autre bout on a mis un pétard avec la mèche vers le bas. Le disque flotte sur le liquide, et la corde, suspendue par les crochets (B et C), maintient le pétard au-dessus d’une bougie allumée. Quand le liquide commence à bouillir, il fait monter le disque, et le pétard descend; ce dernier explose en arrivant à la flamme.
Un Fauteuil idéal pour les personnes qui veulent passer des vacances en repos absolu.
Il est formé par quatre aimants -1-2-3-4- qui maintiennent la balançoire suspendue et qui agissent sur les boules de fer -7-8-. Deux crics -5-6- servent à prendre l’apéritif, et le siphon -10- est mis en fonctionnement automatiquement. L’appareil présente aussi un suceur -14-, un tube de décharge d’olives -16-, un ventilateur pour chasser les mouches -17-, un appareil de radio -19-, et un cendrier -22-.
Il existe aussi un Mécanisme servant à se frotter le dos dans la baignoire, très bon marché étant donné qu’il peut être fabriqué au moyen d’objets d’usage quotidien. En tirant la corde, et en la laissant remonter (comme l’on fait pour faire sonner les cloches des églises), on met en marche le mécanisme qui est constitué essentiellement par deux arrosoirs, pour l’eau chaude et l’eau froide.
Une extraordinaire invention pour le Pêcheur paresseux: une fois installé, il doit attacher l’attirail de pêche à la manette du siphon sans oublier de disposer le verre d’apéritif sous le bec. Le poisson, en mordant à l’hameçon, abaisse la manette, et le liquide sort.
II – Nous avons fait une sélection d’inventions qui ont recours à l’énergie provenant du soleil, du vent, de l’eau, etc.
Le Régulateur alimentaire canin est un appareil très simple dans lequel on peut laisser en dépôt la nourriture pour le chien avant de partir; les rayons de soleil qui passent à travers une loupe, le mettront en marche en brûlant la corde qui soutient le récipient de la nourriture, et en le faisant tomber.
Une installation à vapeur qui peut faire fonctionner les moulins à vent les jours de calme. L’Appareil destiné à produire le vent -1- est installé sur une tour à crémaillère pouvant ainsi être descendu ou soulevé à volonté grâce aux quatre volants -3- situés à quelques mètres de la terre. A la base de cet appareil, se trouve un manche de pompe flexible -5- en toile imperméable qui est en communication avec un grand tambour -7- dans lequel travaillent deux puissantes hélices génératrices de vent qui sont poussées au moyen d’une courroie entre le volant de celles-ci -8- et celui du moteur à vapeur -9-.
Une autre installation, cette fois-ci pour l’Irrigation des champs qui fonctionne automatiquement selon la «théorie du mouvement perpétuel» (sic). On remplit le réservoir d’eau -1- une seule fois, on ouvre le robinet -2-, et l’eau tombe sur la roue à pales -3- commençant ainsi à tourner. La roue met en marche les courroies de transmission -4- qui, à leur tour, feront fonctionner une chaîne d’auges chargées d’extraire et d’élever l’eau, et de la verser dans le réservoir.
L’ Appareil aspirateur installé dans les bateaux est montré en section longitudinale. En effet, la force de la pompe centrifuge aspirera une énorme quantité de poissons qui iront directement à la cale.
Une Automobile à eau très pratique: l’eau de pluie tombe dans un entonnoir permettant la sortie de celle-ci avec un grand débit sur une noria à godets qui met en marche une roue dentée grâce à laquelle les roues de la voiture peuvent tourner.
Les dernières inventions de notre sélection utilisent une force extérieure à leur bénéfice.
Une Voiture destinée au travail des aiguiseurs, très bon marché et de fabrication facile. Un chien énervé par un chat fait tourner le tambour lequel met en marche la cloche, la meule et le soufflet. Ce dernier fait tourner l’hélice chargée de pousser l’engin. Le conducteur peut le diriger avec les pieds pendant son travail.
Un Dispositif applicable aux automobiles pour économiser de l’essence . Les légendes expliquent que le conducteur de l’automobile qui suit utilise le dispositif pour s’accrocher à l’autre voiture. Ensuite, elle se détache automatiquement du ressort extensible, et les deux voitures demeurent attachées au câble de remorque. La voiture qui suit est alors traînée sans dépenser d’essence. La longueur du câble permet de s’éloigner convenablement pour ne pas attirer l’attention.
CONCLUSIONS
Les dessins que nous avons analysés – qui ne sont pas des représentations analogiques même s’ils sont descriptifs – favorisent l’usage de la parole ainsi que la confrontation d’idées et d’opinions, en stimulant la créativité langagière plus que le texte dont le développement linéaire syntactique s’appuie sur une logique discursive. Les images possèdent un grand pouvoir d’évocation car non seulement elles démontrent quelque chose, mais elles suggèrent en permettant ainsi que le lecteur/spectateur crée ses propres parcours avec un supplément de fiction. Ce débloquage de l’imaginaire peut agir comme propédeutique du débloquage linguistique car les dessins humoristiques détiennent une forte charge affectivo-émotive: ils ne s’adressent pas tant à l’intelligence rationnelle qu’à la sensibilité.
Pour cerner de plus près les possibilités que ces pages d’illustrés nous offrent, il peut être utile au cours de langue étrangère de rappeler que la linguistique, selon Saussure, n’est qu’une partie de la sémiologie. Et réfléchir sur la sémiologie d’un message visuel, c’est-à-dire rapprocher les systèmes linguistiques et visuels, les comparer, les opposer, peut faire partie de l’apprentissage des langues étrangères. Ces considérations préliminaires nous ont amenée à nous poser une question: comment fonctionnent ces images par rapport aux textes? Pour répondre à ces questions il faut évidemment mettre au point un minimum de connaissances de base en matière de sémiologie de l’image qui assureront aux étudiants un vocabulaire commun d’analyse pour éviter que la discussion ne soit que la simple juxtaposition de jugements individuels totalement subjectifs. Les paramètres essentiels seraient les suivants (6):
– dénotation: description des éléments du code photographique (angle de prise de vue, cadrage, échelle, perspective et profondeur de champ (7)…)
– connotation: élucidation des différents systèmes d’interprétation du document en rapport avec les références socioculturelles
– signe et ses deux étages: signifiant et signifié (par exemple: il y a plus dans le dessin que dans le référent..)
– syntagme: on fait découvrir comment s’articulent entre eux les différents éléments du message
La connaissance de ce minimum de base en sémiologie de l’image permettra toute une gamme d’utilisations des documents visuels, de la discussion en classe à l’analyse comparée de deux cultures, de deux sens du comique, de deux séries de préjugés.
Nous avons observé plusieurs types de disposition de l’image sur la page. Le plus fréquent est celui qui présente une seule image avec les différentes parties numérotées du mécanisme inventé. La légende correspondante détaille, au bas de page normalement, ces différentes parties (ex. «Machine à humidifier les timbres»), ou bien elle donne une explication complète du fonctionnement de l’appareil (ex. «Berceuse»). Nous pouvons voir également pour d’autres inventions, deux ou trois images qui correspondent à des vues différentes de l’appareil, sections longitudinale, en plan, de profil, de face, etc. accompagnées parfois de schémas explicatifs (ex. «Moulinet ventilateur de la porte tournante»). Très rarement, et lorsque l’appareil est très simple, l’inventeur ne fournit aucune explication puisque le dessin figuratif schématisé se suffit à lui-même (ex. «Automobile à eau»). La composition typographique adopte aussi les conventions des bandes dessinées avec une division de l’espace en vignettes (ex. «Régulateur alimentaire canin»). Finalement certaines pages combinent les deux types de présentation: les vignettes et le schéma (ex. «Dispositif pour économiser de l’essence).
Les cinq caractéristiques de base de la bande déssinée – structure diachronique du message narratif (plus fréquemment, structure synchronique du message descriptif), intégration d’éléments verbo-iconiques, utilisation définie de codes et de conventions, tendance à la diffusion et au divertissement -, peuvent être observées dans la plupart des inventions. La vignette conventionnelle est la conséquence du cadrage du plan, généralement rectangulaire, que le dessinateur a voulu reproduire. Les bords du rectangle ferment normalement le plan, ce qui produit une structure réticulaire par la juxtaposition des vignettes (ex.»Pêcheur paresseux»). Les légendes se rapprochent des textes d’ancrage; leur rôle est de renforcer le sens de l’image dont la polysémie permet des interprétations différentes. Dans tous les cas, les codes cinétiques exprimant le mouvement physique, le déplacement et la vitesse, foisonnent (ex.»Remuer les aliments»). Il y a, en effet, une extraordinaire abondance d’éléments dynamiques: entre les ressources utilisées ayant pour but l’expression du mouvement, nous pouvons citer la trajectoire ou signalisation graphique de l’espace parcouru par un objet ou une personne en un laps de temps assez bref, l’oscillation qui indique la vibration des courroies de transmission par exemple, dans plusieurs inventions, ou le choc. Un mouvement peut être également signalé au moyen de nuages qui, accompagnent la trajectoire ou bien la remplacent (ex. «Bicyclette réfrigérante» ou «Moto-soufflet»).
Nous avons repéré de même des éléments paralinguistiques ou métaphores visualisées (ex. «Disque de liquides», les notes musicales symbolisent le son de la radio, ou les petits traits autour de la tête du possesseur de l’invention pour «Irrigation des champs» indiquant la satisfaction, ou encore les étoiles exprimant les étincelles produites par le couteau contre la meule à aiguiser dans «Machine à coudre qui met en marche d’autres machines), des onomatopées (ex. le «pam» de l’explosion du pétard dans l’exemple antérieur, la cloche de la «Voiture de l’aiguiseur» ou le «ffffff!» du chat enragé).
En ce qui concerne les codes gestuels, ils sont en réalité très pauvres. Quelques stéréotypes nous serviront d’exemples: la bouche souriante comme expression de complaisance (ex. «Pêcheur paresseux»), et la commissure des lèvres vers le bas indiquant l’ennui (ex. la dame de la «Machine à coudre»).
Les exercices à partir de ces dessins peuvent être variés. Les inventions qui ne sont pas accompagnées d’une légende, peuvent être transférées au code scriptural de deux façons: en détaillant les différentes parties composant le mécanisme, et en expliquant le procédé par lequel elles se synchronisent pour mettre l’appareil en mouvement. Les inventions qui sont unies à une légende peuvent être traduites ou adaptées à la langue d’arrivée.
Nous analyserons maintenant quelques difficultés que pourrait trouver un étudiant de niveau moyen – profil des étudiants des Facultés scientifiques (8) – au moment de traduire ce genre de texte.
Au niveau lexical, voici quelques termes difficiles à traduire si on manque de compétence dans l’usage du dictionnaire, ou même si on n’a pas un dictionnaire spécialisé: irradiador de viento, torre cremallera, volantes, manguera de lona («Moulin à vent»); ruedas de palas, correas de transmisión, cadena de cangelones («Irrigation de jardins»); ballesta extensiva, cable de remolque, muelle de la ballesta, torno para el cable, palanca de mando («L’Effronté»); dinamo, muela afiladora («Machine à coudre»); electroimán, biela de retropropulsión, cojinete del volante, bancada, espiga móvil, manómetro («Machine à humidifier des timbres»).
En ce qui concerne le lexique, il existe d’autres difficultés car, en général, les légendes sont rédigées en utilisant un niveau de langue soigné et un registre très particulier propre des matrices d’utilisation d’appareils. Quelques exemples de niveau soigné: «a media jornada vuelve a tener hambre y molesta al vecindario con sus desaforados ladridos» («Régulateur alimentaire canin»), «puede dirigirle con los pies mientras trabaja si tal es su gusto» («Voiture des aiguiseurs»), «la gasolina que no deja de ser un capítulo de gastos digno de tenerse en cuenta» («Moto-soufflet»), «bebe el vermut parsimoniosamente» («Pêcheur paresseux»), «recabar la ayuda» («Mécanisme pour se frotter le dos»), «condimento susceptible de..» («Dispositif pour remuer les aliments»), «creemos que la susodicha energía» («Porte tournante»), «éste hace voltear» («Voiture des aiguiseurs»). Le registre caractéristique des matrices d’utilisation, emploie, par exemple, les pronoms enclitiques: «trátase de…», «átese el aparejo», «colóquese un vaso», etc.
Au niveau syntaxique, quelques textes contiennent des structures très compliquées où l’élève peut se sentir comme dans un piège. La phrase suivante provenant de l’invention des «Moulins à vent» en est un exemple illustratif: «a fin de que el irradiador de viento no estorbe cuando el molino puede funcionar con aire natural, va montado encima de una torre cremallera que, por medio de unos volantes colocados a unos cuatro metros de altura, hacen subir y bajar a voluntad cuatro hombres, accionando un volante cada uno». Pour traduire cette phrase, l’étudiant devrait d’abord réaliser une analyse des différentes propositions que la composent.
Du point de vue de la pratique de la langue étrangère qui est le nôtre, l’effort que doit réaliser un étudiant pour énumérer les différentes parties composant l’appareil, et en décrire ensuite le fonctionnement, est considérable. Ces dessins peuvent être utilisés soit pour l’expansion – rédaction ou extension de légendes, discussion, confrontation d’interprétations, explicitation de la part d’implicite contenue par le graphisme (et rappelons que développer l’implicite d’un dessin, c’est analyser les idées reçues d’une culture ) -, soit pour la réduction – ramener le dessin à une légende qui fasse explorer le système d’interprétation -.
La recherche de documents attirants pour les cours de langue de spécialité – de type scientifique-technique ou de vulgarisation – est compliquée. Le matériel dit «authentique» intrigue au début les étudiants. Mais cette curiosité est souvent éphémère. Nous avons fait l’expérience d’utiliser de vieux textes publicitaires, par exemple, et les résultats ont été satisfaisants parce que les produits montrés étaient nouveaux pour les étudiants. Il en va de même pour ces pages d’illustrés: d’un côté, l’aspect général de ces pages d’inventions est nouveau parce que vieux, de l’autre, l’humour est un racourci pour le débloquage linguistique. La vue de ces étranges engins amuse et incite à les connaître: description, analyse et prolongement de l’invention où l’étudiant est amené à créer, à inventer lui-même.
J’exprime mes remerciements à Laurence Rassel.
NOTES
(1) MORTUREUX,M.F. 1985 «Linguistique et vulgarisation scientifique», Informations sur le sciences sociales, 4, 24.
(2) TBO, nom d’illustré hebdomadaire pour enfants qui a été très populaire en Espagne pendant plus d’un siècle. Il contenait une page d’Inventions fort curieuses. Il y a actuellement une réédition.
(3) BARTHES,R. Communications, 4.
(4) JACOBI,D. 1987 Textes et images de la vulgarisation scientifique. Berne: P.Lang.
(5) BALMET,S.E. -HENAO,M. 1992 Pratiques du français scientifique. Vanves: Hachette-Aupelf.
(6) BORGOMANO,L. «Laisse-moi rire! Fais-moi parler», Le Français dans le Monde, nº 178,p.38.
(7) On insistera sur le cIoté conventionnel de la représentation (cf code de la route) en rappelant, par exemple, que dans certains tableaux de la Renaissance la perspective est utilisée comme moyen de figurer la succession de deux temps du récit, ou que les Indiens du Nouveau Mexique avaient résolu le problème de la négation par l’utilisation d’un code différent du nôtre (éléments renversées = interdiction).
(8) Apprenants qui ont étudié la langue étrangère dans leurs études secondaires et, tout au plus, dans une école de langues.